Cultiver sa flexibilité face aux imprévus et aux changements rapides pour mieux naviguer dans l’incertitude

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2025BRH2731. Le texte ne pourra être publié ou diffusé par moi ou mon bureau sur un site Internet tiers.

Résumé

Dans un contexte marqué par des incertitudes croissantes, la capacité d’adaptation n’est plus simplement une qualité appréciée, mais une nécessité. Qu’il s’agisse de changements technologiques, sociaux ou économiques, savoir s’adapter rapidement est devenu un atout incontournable pour les individus comme pour les organisations. Cet article explore les différents aspects de la flexibilité et propose des stratégies concrètes pour développer cette aptitude essentielle.

INTRODUCTION

Les défis vécus par les entreprises sont multiples et les changements qu’elles vivent rapides. Les entreprises doivent alors adapter leurs outils, leurs façons de faire, leurs produits ou services, sous peine de se trouver dépassées. Cela a des répercussions sur les équipes qui doivent également se réajuster rapidement, malgré les ressources parfois limitées. Les entreprises peuvent agir à plusieurs niveaux pour soutenir leurs employé.e.s, que ce soit au niveau de la culture, de l’organisation du travail ou encore des outils de travail.

À cette flexibilité organisationnelle s’ajoute une flexibilité plus individuelle que chaque personne peut développer. Nous verrons quels outils sont à disposition des équipes après avoir passé en revue les risques d’une flexibilité trop intense.

I– LES LIMITES À L’ADAPTATION

La capacité d'adaptation repose sur un équilibre délicat entre routines sécurisantes[1] et ouverture au changement. Le cerveau humain tend naturellement à établir des habitudes pour économiser de l’énergie. Ces routines, bien qu’efficaces, peuvent devenir des freins dans des contextes où l’innovation est nécessaire.

Il arrive également parfois que les personnes ayant naturellement une grande capacité d’adaptation et une grande souplesse atteignent leurs limites. Cela peut être le cas lorsque les changements sont trop nombreux ou rapides. En effet, une croyance bien ancrée nous fait croire que nous sommes capables d’être multitâche à l’infini, et de passer sans effort d’un dossier à un autre sans nous fatiguer. Sonia Lupien, dans son dernier livre Le stress au travail vs le stress du travail, démontre qu’au contraire, le multitâche n'est pas une habileté naturelle chez l’humain. À long terme, le fait de ne pas pouvoir travailler en profondeur, sans interruption, amène du stress chronique.

Il est donc certes possible de renforcer sa capacité d’adaptation individuelle, mais dans une certaine limite seulement.

Un autre frein est quant à lui plus organisationnel. La culture de l’entreprise ainsi que sa propre capacité à improviser de manière stratégique[2] et à s’adapter sont autant de freins.

Pour que les équipes soient capables de s’adapter de manière adéquate et pertinente (c’est-à-dire en lien avec les objectifs stratégiques organisationnels), les entreprises doivent accepter de laisser de l’espace et du temps à leurs équipes pour qu’elles puissent se déposer, se recentrer et se régénérer.

En effet la pression continue, l’injonction constante de performer et la cadence intense où chaque minute est optimisée ne permettent pas aux employé.e.s de disposer du temps nécessaire pour réguler adéquatement leurs émotions, réfléchir en profondeur à la problématique qu’ils ou elles rencontrent, identifier les comportements à changer.

 II – LA FLEXIBILITÉ ORGANISATIONNELLE COMME PRÉALABLE À LA FLEXIBILITÉ INDIVIDUELLE

Composées d’humains aux capacités limitées, les entreprises ne peuvent pas les gérer comme elles gèrent leurs stocks : à flux tendu. Que se passe-t-il lorsqu’une entreprise fait face à une rupture de sa chaîne d’approvisionnement ou à un incident ? Elle risque d’y laisser de nombreuses plumes.

Alors pourquoi certaines entreprises continuent de penser qu’elles peuvent gérer les humains comme de la marchandise ?

Le mystère reste entier. En poussant les équipes à leur maximum (ne dit-on pas donner son 110 %?), sans répit, les entreprises prennent un risque majeur en termes de continuité de leurs activités. Les chiffres le montrent : selon GALLUP[3], les employé.e.s du Canada n’ont jamais été aussi désengagés. Au Canada, 66 % des employés sont non engagés contre 21 % qui se considèrent comme engagés et 13 % qui sont activement désengagés[4].

De plus, d'après des renseignements recueillis auprès de travailleur·euse·s de 15 à 69 ans en avril 2023 par Statistique Canada, dans le cadre d'une série de suppléments à l'Enquête sur la population active : « Un peu plus de 4,1 millions de personnes ont déclaré éprouver des niveaux de stress lié au travail élevés ou très élevés, ce qui représente 21,2 % de l'ensemble des personnes en emploi. Les causes les plus courantes de stress lié au travail étaient une lourde charge de travail (23,7 % des personnes en emploi), ainsi que la conciliation du travail et de la vie personnelle (15,7 % des personnes en emploi)[JD2] [AM3] [5] ».

Voici quelques pistes de réflexion pour laisser temps et espace aux équipes. Le temps presse !

  1. Limiter le temps de rencontres, notamment virtuelles. Selon les analyses effectuées par Sonia Lupien[6], une diminution de 40 % du temps de réunion permet une augmentation de la productivité de 71 % et de la satisfaction au travail de 52 %.

  2. Instaurer des temps réservés pour le travail en profondeur, la réflexion stratégique, l’expérimentation.

  3. Prioriser (pour de vrai) en fonction de la capacité. Un plan stratégique qui ressemble à une liste au père Noël n’a de stratégique que le nom[7].

 C’est seulement en acceptant que chaque minute ne soit pas consacrée à de la production que les équipes auront les espaces pour se réajuster. Vous pourrez alors inviter chaque employé.e à travailler sur sa propre flexibilité.

III– RENFORCER SA FLEXIBILITÉ ÉMOTIONNELLE, COMPORTEMENTALE ET MENTALE

Selon le Larousse, la flexibilité est la qualité de quelque chose qui peut s’adapter. Dans les contextes de changements rapides, incertains et constants, les personnes sont mises à dure épreuve. Ces changements :

  • jouent sur les émotions ;

  • obligent à passer d’une idée à une autre ;

  • et nous demandent de changer nos habitudes et comportements.

Premièrement, ces changements jouent sur nos émotions.

Parfois source de joie, les changements brusques sont plus souvent source d’inquiétudes (« Vais-je arriver à avancer ? ») ou de colère (« encore un nouveau projet ? Mais comment je fais pour gérer les 12 autres ? »). Une bonne régulation émotionnelle permet de revenir à un niveau correct de stimulation.

Pour cela, voici quelques pistes de réflexion pour développer renforcer sa flexibilité émotionnelle :

  • Apprendre à accueillir et nommer l’émotion ressentie (ex : je suis irrité.e, exaspéré.e, agacé.e...).

  • Identifier le besoin sous-jacent (ex : j’ai besoin de stabilité et de clarté pour mieux planifier mes projets).

  • Communiquer sa demande en lien avec ce besoin (ex : serait-il possible de prévoir une rencontre pour discuter des rôles et des responsabilités à venir, afin de s’assurer que tout le monde est aligné ?)

Deuxièmement, ces changements nous obligent à passer d’une idée à une autre.

Le cerveau jongle avec de nombreuses informations, parfois tronquées, d’autres fois floues, voire contradictoires. Adam Grant, dans son livre Le pouvoir de la pensée flexible, prône la curiosité intellectuelle, l’humilité et l’ouverture au changement.

Pour renforcer sa flexibilité mentale, nous vous invitons donc à :

  • Adopter une mentalité de scientifique, c’est-à-dire à considérer vos croyances comme des hypothèses à tester plutôt que comme des vérités absolues. En vous basant sur des faits et des preuves, soyez prêt.e à accepter que d’autres possibilités et avenues existent. En doutant de votre compréhension (non pas nécessairement de vous-même) vous acceptez de vous questionner. Redoutez-vous le doute ?[8]

  • Poser des questions pour comprendre et changer de perspectives. Voici quelques exemples tirés d’un précédent article qui présente une liste de questions stratégiques à se poser pour s’assurer que l’on envisage un problème sous différents angles[9] :

o   Quelles sont les causes du problème, de la situation ?

o   A-t-on consulté les bonnes personnes, celles qui seront impactées par le projet ?

o   Quelles solutions potentielles n’avons-nous pas envisagées ?

o   Quelles sont les réalités, perspectives que je ne perçois pas ?

o   Que cherchons-nous à accomplir ?

  • Arriver avec l’oeil du débutant, qui ne sait pas et découvre d’autres perspectives et idées. Les chapeaux de Bono[10] sont un outil intéressant pour comprendre la réalité d’autres personnes.

Troisièmement, ces changements nous demandent de changer nos habitudes et comportements.

Il faut accepter de changer certaines façons de faire. Or nous avons vu en introduction que les routines permettent de reposer notre cerveau. Si vous changez trop de routines et d’habitudes en même temps, le risque est de déréguler ses émotions et d’entrer en zone de stress intense.

Voici donc quelques idées pour développer sa flexibilité comportementale :

  • Apprendre à désapprendre. Selon Adam Grant, il est tout aussi important d’apprendre de nouvelles façons de faire que d’en abandonner des obsolètes. Pour vous détacher de vos croyances et habitudes, voici quelques questions à se poser :

o   Concernant le projet X, quels sont mes croyances et préjugés ?

o   Si je me mets dans la perspective du promoteur de ce projet, quelles sont les croyances opposées ?

o   Sur quelles preuves, faits se basent mes croyances ? Sont-elles partagées par d’autres au sein de mon équipe ?

  • Garder un oeil sur l’avenir pour anticiper. En étant curieux.se de ce qu’il se passe dans votre écosystème, vous verrez les grandes tendances et pourrez commencer à vous familiariser avec. Un outil intéressant est l’élaboration de scénarios pour vous aider à imaginer ce qui pourrait se passer dans 6 mois, 3 ans ou 10 ans. Vous pourrez ainsi mieux cibler les colloques ou formations que vous aimeriez suivre.

 

Et vous, comment évaluez-vous votre capacité d’adaptation ? Il y a sur le site de Masterstart un test intéressant à faire pour l’évaluer[11].

Conclusion

La capacité d’adaptation est une responsabilité organisationnelle avant d’être une responsabilité individuelle. Pour faciliter la vie de ses équipes et leur permettre de développer leur capacité d’adaptation, les entreprises doivent recréer des espaces de dialogue où l’injonction de performance absolue disparaît quelques heures pour laisser la place au ressourcement et à la réflexion profonde.

Pour prendre soin des personnes qui les composent, les entreprises doivent refaire des espaces de travail des milieux régénérants, vivants et inspirants.

 

[1] Entrevue de Sonia Lupien le 2 avril 2024, «  Sonia Lupien : Êtes-vous psychorigide ou neuroflexible », en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/penelope/segments/rattrapage/489270/sonia-lupien-etes-vous-psychorigide-ou-neuroflexible>.

[2] Voir un précédent article de l’auteure : Anne-Laure MARCADET, « L’improvisation stratégique au service de l’adaptation de son organisation », dans Bulletin en ressources humaines, septembre 2024, La référence ressources humaines, EYB2024BRH2701.

[3] GALLUP : State of the Global Workplace 2023 Report, en ligne <https://www.gallup.com/workplace/349484/state-of-the-global-workplace.aspx>.

[4] Anne-Laure MARCADET, « Est-il encore possible d'avoir des employés engagés ? », dans Bulletin en ressources humaines, novembre 2023, La référence ressources humaines, EYB2023BRH2637.

[5] Statistique Canada, en ligne : <https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230619/dq230619c-fra.htm>.

[6] Livre : Le stress au travail vs le stress du travail.

[7] Article : « Quand votre plan stratégique ressemble à une lettre au Père-Noël », par Anne-Laure Marcadet, en ligne : <https://penseestrategique.com/actualites/2022/3/3/plan-strategique>.

[8] Article de Bernadette Petitpas – Revue des CRHA, en ligne : <https://carrefourrh.org/ressources/developpement-competences-releve/2019/05/redoutez-vous-doute>.

[9] Anne-Laure MARCADET, « Le coaching stratégique : coacher pour plus d’impact », dans Bulletin en ressources humaines, octobre 2024, La référence ressources humaines, EYB2024BRH2706.

[10] 6 chapeaux de Bono – Communagir pour emporter, en ligne : <https://communagir.org/contenus-et-outils/communagir-pour-emporter/les-outils-d-animation/6-chapeaux-de-bono/>.

[11] Masterstart, en ligne : <https://masterstart.com/adaptability-quotient-assessment/>.

 

Voici d’autres articles plus détaillés sur le développement de la capacité d’adaptation :

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